Le désordre carcéral et la passion du contrôle
par Nadia Taïbi
L’enfermement carcéral est une réponse pénale au trouble à l’ordre public consécutif à une infraction, un délit ou un crime. Extrait de la cité, le délinquant est à sa place. La peine privative de liberté a aussi pour objet de favoriser « la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire ». Toutefois, on ne peut que constater l’échec de ces deux missions traditionnelles assignées à la prison. La récidive est considérable et loin de socialiser ; la prison exclut. La raison de l’ordre carcéral ne peut donc se trouver qu’en lui-même. Et si avec la prison « rien ne marche », les prisons, elles, fonctionnent. Il semble alors que la mission effective de l’institution pénitentiaire soit de maîtriser les personnes détenues. On glisse de l’ordre au contrôle ou à « la gestion du comportement des détenus ». C’est bien là l’aboutissement de la séparation initialement souhaitée. On en arrive à un monstre institutionnel où le désordre est la substance nécessaire à l’établissement de la discipline.
Retour au sommaire – Retour à l’accueil
Utilisation des articles
Deux livres sur la prison :
– Aux côtés des détenus. Un avocat contre l’État de Étienne Noël et Manuel Sanson – Ed. Nouvelles François Bourin, Paris
– La prison, un lieu de soin ? de Anne Lécu – Édition Première édition
____________________
Au-delà du défi juridique, Étienne Noël voit dans son action une opportunité pour la société : des prisonniers respectés dans leurs droits et leur dignité sont le gage d’un corps social pacifié et d’une prévention de la récidive plus efficace. En retraçant de manière crue et poignante la trajectoire des détenus qu’il a défendus, Étienne Noël et le journaliste Manuel Sanson ouvrent, sans tabou, un débat urgent sur la question carcérale. […]
____________________
Le face à face du médecin et du patient incarcéré est une situation exemplaire pour toucher du doigt l’ambivalence de la prison, tendue pour ne pas dire déchirée entre ses deux finalités, répressive et préventive, mais aussi l’ambivalence de la médecine, prise à la fois dans la nécessité d’objectiver le corps malade et de s’adresser à une personne.
Cette réflexion sur la médecine carcérale défend l’idée que le médecin exerçant en prison est en danger quand, comme ses prédécesseurs du XIXe siècle, il se satisfait d’une approche scientiste, technique, cesse de s’occuper de son patient singulier, s’associe à l’institution pénitentiaire afin d’établir le « profil » des personnes captives, décider de leur vulnérabilité, ou de leur dangerosité, et enferme les personnes dans leur conduite nommée comportement , au lieu de les aider à retrouver du jeu, de la liberté, de la vie.
Dans son exercice en milieu pénitentiaire, le médecin peut résister, en faisant ce qu’il sait faire, de la médecine, en luttant contre les dispositifs illusoires qui visent à la transparence, à l’évaluation et à la prévision, et en gardant l’exigence éthique au centre de son métier. […]