La communication

Quelques textes…

1. Merleau-Ponty
Il est vrai que la communication présuppose un système de correspondances tel que celui qui est donné par le dictionnaire, mais elle va au-delà, et c’est la phrase qui donne son sens à chaque mot, c’est pour avoir été employé dans différents contextes que le mot se charge d’un sens qu’il n’est pas possible de fixer absolument. Une parole importante, un bon livre imposent leur sens. C’est donc d’une certaine manière qu’ils le portent en eux. Et quant au sujet qui parle, il faut bien que l’acte d’expression lui permette de dépasser lui aussi ce qu’il pensait auparavant et qu’il trouve dans ses propres paroles plus qu’il ne pensait y mettre, sans quoi on ne verrait pas la pensée, même solitaire, chercher l’expression avec tant de persévérance. La parole est donc cette opération paradoxale où nous tentons de rejoindre, au moyen de mots dont le sens est donné, et de significations déjà disponibles, une intention qui par principe va au-delà et modifie, fixe elle-même, en dernière analyse, le sens des mots par lequel elle se traduit. Le langage constitué ne joue un rôle dans l’opération d’expression que comme les couleurs dans la peinture : si nous n’avions pas des yeux ou en général des sens, il n’y aurait pas pour nous de peinture, et cependant le tableau « dit » plus de choses que le simple exercice de nos sens ne peut nous en apprendre. Le tableau par-delà les données des sens, la parole par-delà celles du langage constitué doivent donc avoir par eux-mêmes une vertu signifiante, sans référence à une signification qui existe pour soi, dans l’esprit du spectateur ou de l’auditeur.

2. Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, III, 2, § 1, 2, trad. Coste, Vrin, 1972.
Comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l’homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres. Rien n’était plus propre pour cet effet, soit à l’égard de la fécondité ou de la promptitude, que ces sons articulés qu’il se trouve capable de former avec tant de facilité et de variété. Nous voyons par là comment les mots, qui étaient si bien adaptés à cette fin par la nature, viennent à être employés par les hommes pour être signes de leurs idées et non par aucune liaison naturelle qu’il y ait entre certains sons articulés et certaines idées (car, en ce cas-là, il n’y aurait qu’une langue parmi les hommes), mais par une institution arbitraire en vertu de laquelle un tel mot a été fait volontairement le signe de telle idée. Ainsi, l’usage des mots consiste à être des marques sensibles des idées et les idées qu’on désigne par les mots sont ce qu’ils signifient proprement et immédiatement.
Comme les hommes se servent de ces signes, ou pour enregistrer, si j’ose ainsi dire, leurs propres pensées afin de soulager leur mémoire, ou pour produire leurs idées et les exposer aux yeux des autres hommes, les mots ne signifient autre chose dans leur première partie et immédiate signification que les idées qui sont dans l’esprit de celui qui s’en sert, quelque imparfaitement ou négligemment que ces idées soient déduites des choses qu’on suppose qu’elles représentent. Lorsqu’un homme parle à un autre, c’est afin de pouvoir être entendu ; le but du langage est que ces sons ou marques puissent faire connaître les idées de celui qui parle à ceux qui l’écoutent.

3. Rousseau, Essai sur l’origine des langues.
Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu’il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n’était arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n’était pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s’étendre et à se multiplier, et qu’il s’établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l’ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n’indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu’il n’est pas d’un usage universel, puisque l’obscurité ou l’interposition d’un corps le rendent inutile, et qu’il exige l’attention plutôt qu’il ne l’excite, on s’avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d’un commun consentement, et d’une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n’avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole.

4. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre XX.
Ces progrès ne sont ni fortuits ni arbitraires, ils tiennent aux vicissitudes des choses. Les langues se forment naturellement sur les besoins des hommes ; elles changent et s’altèrent selon les changements de ces mêmes besoins. Dans les anciens temps où la persuasion tenait lieu de force publique, l’éloquence était nécessaire. À quoi servirait-elle aujourd’hui que la force publique supplée à la persuasion ? L’on n’a besoin ni d’art ni de figure pour dire : « tel est mon bon plaisir ». Quels discours reste-t-il à faire au peuple assemblé ? Des sermons. Et qu’importe à ceux qui les font de persuader le peuple, puisque ce n’est pas lui qui nomme aux bénéfices ? Les langues sont devenues aussi parfaitement inutiles que l’éloquence. Les sociétés ont pris leurs dernières formes ; on n’y change plus rien qu’avec du canon et des écus, et comme on n’a plus rien à dire au peuple sinon : « donnez de l’argent », on le dit avec des placards au coin des rues ou des soldats dans les maisons. Il ne faut assembler personne pour cela, au contraire, il faut tenir les sujets épars ; c’est la première maxime de la politique moderne.
Il y a des langues favorables à la liberté ; ce sont les langues sonores, prosodiques, harmonieuses dont on distingue les discours de fort loin. Les nôtres sont faites pour le bourdonnement des divans. Nos prédicateurs se tourmentent, se mettent en sueur dans les temples, sans qu’on sache rien de ce qu’ils ont dit. Après s’être épuisés à crier pendant une heure, ils sortent de la chaire à demi morts. Assurément ce n’était pas la peine de prendre tant de fatigue. Chez les anciens on se faisait entendre aisément au peuple sur la place publique ; on y parlait tout le jour sans s’incommoder. Les généraux haranguaient leurs troupes ; on les entendait et ils ne s’épuisaient point. Les historiens modernes qui ont voulu mettre des harangues dans leurs histoires se sont fait moquer d’eux. Qu’on suppose un homme haranguant en français le peuple de Paris dans la place Vendôme. Qu’il crie à pleine tête, on entendra qu’il crie, on ne distinguera pas un mot. Hérodote lisait son histoire aux peuples de la Grèce assemblés en plein air et tout retentissait d’applaudissements. Aujourd’hui l’académicien qui lit un mémoire un jour d’assemblée publique est à peine entendu au bout de la salle.
Si les charlatans des places abondent moins en France qu’en Italie, ce n’est pas en France qu’ils soient moins écoutés, c’est seulement qu’on ne les entend pas si bien. M. d’Alembert croit qu’on pourrait débiter le récitatif français à l’italienne ; il faudrait donc le débiter à l’oreille, autrement on n’entendrait rien du tout. Or, je dis que toute langue avec laquelle on ne peut pas se faire entendre au peuple assemblé est une langue servile ; il est impossible qu’un peuple demeure libre et qu’il parle cette langue-là. Je finirai ces réflexions superficielles, mais qui peuvent en faire naître de plus profondes, par le passage qui me les a suggérées : « ce serait la matière d’un examen assez philosophique, que d’observer dans le fait et de montrer par des exemples combien les caractères, les mœurs et les intérêts d’un peuple influent sur sa langue. »

5. Saussure, Cours de linguistique générale, (1906-1911).
Ainsi l’idée de « sœur » n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ô-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quelle autre : à preuve les différences entre les langues et l’existence même de langues différentes : le signifié « bœuf » a pour signifiant b-î-f d’un côté de la frontière, et o-k-s (Ochs) de l’autre. […] Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu’il n’est pas au pouvoir de l’individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu’il est immotivé, c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité.

6. Merleau-Ponty, La prose du monde, TEL Gallimard, p. 8
La langue dispose d’un certain nombre de signes fondamentaux, arbitrairement liés à des significations clefs ; elle est capable de recomposer toute signification nouvelle à partir de celles-là, donc de les dire dans le même langage, et finalement l’expression exprime parce qu’elle reconduit toutes nos expériences au système de correspondances initiales entre tel signe et telle signification dont nous avons pris possession en apprenant la langue, et qui est, lui, absolument clair, parce qu’aucune pensée ne traîne dans les mots, aucun mot dans la pure pensée de quelque chose. Nous vénérons tous secrètement cet idéal d’un langage qui, en dernière analyse, nous délivrerait de lui-même en nous livrant aux choses. Une langue, c’est pour nous cet appareil fabuleux qui permet d’exprimer un nombre indéfini de pensées ou de choses avec un nombre fini de signes, parce qu’ils ont été choisis de manière à recomposer exactement tout ce qu’on peut vouloir dire de neuf et à lui communiquer l’évidence des premières désignations de choses.

7. Chomsky, Le langage et la pensée, Payot, 1970, p. 17.
Il est important de comprendre quelles propriétés du langage frappaient le plus Descartes et ses disciples. La discussion de ce que j’ai appelé « l’aspect créateur de l’utilisation du langage » tourne autour de trois observations importantes. La première est que l’utilisation normale du langage est novatrice, en ce sens qu’une grande part de ce que nous disons en utilisant normalement le langage est entièrement nouveau, que ce n’est pas la répétition de ce que nous avons entendus auparavant, pas même un calque de la structure – quel que soit le sens donné aux mots « calque » et « structure » – de phrases ou de discours que nous avons entendus dans le passé. C’est un truisme, mais un truisme important, souvent oublié et bien des fois nié au cours de la période behaviouriste de la linguistique, durant laquelle on proclamait presque universellement qu’on peut représenter la connaissance qu’a une personne du langage comme une réserve de modèles (patterns) appris par une constante répétition et un minutieux entraînement, l’innovation n’y étant tout au plus qu’un problème d’« analogie ». On peut tenir pour acquis, cependant, que le nombre de phrases de la langue maternelle qu’on comprendra immédiatement sans aucune impression de difficulté ou d’étrangeté est astronomique. Le nombre de modèles sous-tendant notre utilisation normale du langage et correspondant à des phrases douées de sens et facilement compréhensibles atteint également un ordre de grandeur supérieur au nombre de secondes dans une vie humaine. C’est en ce sens que l’utilisation du langage est novatrice.

8. Bergson
Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.

9. 
Bergson, La pensée et le mouvant, introduction (deuxième partie), De la position des problèmes (22 janvier 1922).
D’où viennent les idées qui s’échangent ? Quelle est la portée des mots ? Il ne faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise. L’homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d’atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu’il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n’est pas une convention, et il est aussi naturel à l’homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l’autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu’il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot. Telles sont les origines du mot et de l’idée.

10. Von Frisch, Vie et mœurs des abeilles, trad. André Dalcq, éditions J’ai Lu, 1974, pp. 152-182.
Après s’être débarrassée de sa charge, la pourvoyeuse entame une sorte de ronde. Elle se met à trottiner à pas rapides sur le rayon, là où elle se trouve, en cercles étroits, changeant fréquemment les sens de sa rotation, décrivant de la sorte un ou deux arcs de cercle chaque fois, alternativement vers la gauche et vers la droite. Cette danse se déroule au milieu de la foule des abeilles, et est d’autant plus frappante et attrayante qu’elle est contagieuse. […]
Si l’on regarde attentivement une des ouvrières qui escortent la danseuse, on peut observer qu’elle se prépare à l’envol, fait un brin de toilette, se faufile vers le trou de vol et quitte la ruche. Dès lors, il ne faut pas longtemps pour que d’autres abeilles viennent s’associer, sur notre table d’expérience, à la première qui l’a découverte. Les nouvelles venues dansent aussi, lorsqu’elles rentrent chargées à la ruche, et plus les danseuses sont nombreuses, plus il y a d’abeilles qui se pressent vers la table. La relation ne peut être mise en doute : la danse annonce dans la ruche la découverte d’une riche récolte. Mais comment les abeilles qui en sont averties trouvent-elles l’endroit où il faut aller la chercher ? […]
Si nous nous arrangeons pour que des abeilles numérotées, appartenant à une ruche d’observation, aillent récolter au voisinage de celle-ci, et qu’au même moment d’autres bêtes marquées, de la même colonie, remplissent leur jabot à un endroit beaucoup plus éloigné, les rayons de la ruche seront le théâtre d’une scène surprenante : toutes les ouvrières qui butinent près de la ruche exécutent des rondes et toutes celles qui récoltent loin font des danses frétillantes.
Dans ce dernier cas, l’abeille court en ligne droite sur une certaine distance, décrit un demi-cercle pour retourner à son point de départ, court de nouveau en ligne droite, décrit un demi-cercle de l’autre côté et cela peut continuer au même endroit pendant plusieurs minutes. Ce qui distingue surtout cette danse de la ronde, ce sont de rapides oscillations de la pointe de l’abdomen, et elles sont toujours exécutées pendant le trajet en ligne droite (appelé pour cela trajet frétillant).
Si l’on éloigne progressivement le ravitaillement qu’on avait placé près de la ruche, on observe que quand il est distant de 50 à 100 mètres, les rondes des pourvoyeuses font place à des danses frétillantes. De même, si l’on rapproche petit à petit celui qui était loin, les danses frétillantes sont remplacées par des rondes lorsqu’on arrive à une distance de 100 à 50 mètres de la ruche. Les deux danses représentent donc deux expressions différentes de la langue des abeilles ; l’une indique la proximité d’une récolte, l’autre son éloignement, et, comme on peut le démontrer, c’est bien dans ce sens que les abeilles les interprètent. […]
Il serait de peu d’intérêt pour les abeilles d’apprendre qu’à 2 kilomètres de la ruche il y a un tilleul en fleur, si ne leur était communiquée en même temps la direction dans laquelle il faut chercher. Et effectivement, la danse frétillante comporte également des indications sous ce rapport. Celles-ci sont données par l’allure de cette danse, et en l’occurrence par la direction de son parcours rectiligne. Pour faire part de leurs directives, les abeilles recourent à deux méthodes bien distinctes, selon qu’elles exécutent leur danse sur le rayon disposé verticalement dans la ruche – cas le plus fréquent -, ou sur une surface horizontale, par exemple sur la planchette d’envol […].
Nous nous souviendrons d’abord du rôle de boussole que joue le soleil. Si, pour voler de la ruche jusqu’au ravitaillement, l’ouvrière a le soleil sous un angle de 40° à gauche et vers l’avant, elle observe ce même angle par rapport au soleil lorsqu’elle danse, et stipule ainsi directement le lieu de la récolte. Les abeilles qui suivent la danseuse enregistrent sa position par rapport au soleil pendant le parcours rectiligne de sa danse ; si elles adoptent, en quittant la ruche, une position semblable relativement à l’astre du jour, elles volent bien dans la direction de l’endroit intéressant…
À l’intérieur de la ruche, il fait sombre et le ciel est totalement invisible : en outre, les rayons sont disposés verticalement, ce qui contribue à exclure toute possibilité d’indication du genre de celle que nous venons de décrire. Dans de telles conditions, les abeilles utilisent leur seconde méthode, d’ailleurs très remarquable. Elles reproduisent par rapport à la verticale l’angle que faisait la direction du butin avec celle du soleil ; pour ce faire, elles recourent au code que voici : si le parcours rectiligne de la danse est orienté vers le haut, cela signifie que le butin se trouve dans la direction du soleil ; ce même parcours orienté vers le bas indique la direction opposée ; un angle de 60° à gauche en haut, toujours par rapport à la verticale, envoie les abeilles vers une récolte située à 60° à gauche du soleil, etc. Les indications perçues ainsi par rapport à la verticale, dans l’obscurité de la ruche et grâce à leur fine sensibilité, les ouvrières qui suivent la danseuse les reporteront plus tard dans l’espace en se servant du soleil comme repère. […]
La danse frétillante et son parcours rectiligne plein de fougue, la ronde et ses orbites circulaires, semblent inviter à l’action avec une clarté tellement symbolique qu’elle nous étonne ; la première incite les abeilles à se précipiter au loin, la seconde à chercher dans les environs immédiats de la ruche. Celles qui doivent partir au loin reçoivent, selon un système parfaitement établi, des indications précises quant au but de leur course. Mais lorsque des centaines d’ouvrières se mettent en route, obéissent aux directives reçues, il y en a généralement quelques-unes qui font autrement que les autres ; quelques-unes qui, après des rondes, s’en vont chercher au loin, ou qui restent dans les environs de la ruche après des danses frétillantes, ou encore qui partent dans une mauvaise direction. N’auraient-elles pas compris le langage de leurs compagnes ? Ou sont-ce de mauvaises têtes, qui n’en veulent faire qu’à leur guise ? Quel que puisse être le motif de leur « fausse manœuvre », il s’agit de très utiles originales, si l’on envisage la question sur le plan de la communauté. En effet, lorsqu’au sud se met à fleurir un champ de colza, il est évidemment indiqué d’y envoyer en groupes nourris les pourvoyeuses, mais il est encore intéressant d’aller voir à ce même moment s’il n’y a pas autre part un champ de colza dont les boutons sont en train de s’ouvrir. C’est grâce à ces originales, dont le comportement n’est pas conforme à celui des autres abeilles, que toutes les sources de butin qui se trouvent à la portée de la colonie sont tellement vite découvertes.

Activités et rencontres de décembre 2016 – A vos Agendas !

–  Le samedi 10 décembre :
—–
Présentation du n° 18 de la revue Sens-Dessous : Réputation
—–à partir de 18 heures, chez Yves Henri – Résid. Bateau Lavange – 35 quai Fulchiron – 69005 Lyon
—–Réservation souhaitée : yves.henri@hotmail.fr

Le lundi 12 décembree à 20 heures dans le cadre du collectif « C’est mai toute l’année » :
—–Ciné-débat autour du film La supplication de Pol Cruchten, 2016
—–Ce film ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl dont nous ne connaissons presque rien.
—–Des témoignages subsistent : des scientifiques, des enseignants, des journaliste, des couples, des enfants…
—–Ils évoquent ce que furent leur quotidien, et puis la catastrophe.
—–Leurs voix forment une longue supplication, terrible mais nécessaire qui dépasse les frontières
—–et nous amène à nous interroger sur notre condition.

—–D’après le livre de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015

Le jeudi 15 décembre :
—–Philo’ appart chez Odette Gouraud, lieu dit « Bellevue », 85310 Le Tablier à partir de 20 heures
—–Le thème traité sera : La communication
—–Contact au  06 30 89 60 77

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Les auteurs du n° 18

Odette Barbero
Docteure en philosophie Université de Bourgogne.

Philippe Boistel

Maître de Conférences HDR Université de Rouen. Département d’administration économique et sociale.

Dominique Bulteau

Artiste plasticien, vit et travaille à la Roche-sur-Yon.

Roland Dérudet

Conseiller Principal d’Éducation, correspondant au journal Le progrès et rédacteur de la rubrique Pop Life, édition du Jura.

Julie Alev Dilmaç

Docteur en sociologie (Université Paris Descartes, Paris 5) Cyprus International University Associate Professor (MCF).

Philippe Faucon
Réalisateur, scénariste et acteur, a notamment reçu le César du meilleur film à Cannes en mai 2016.

Raphael Jacoulot

Réalisateur et scénariste, a reçu le prix Claude Chabrol 2016 au festival du film policier de Beaune, pour son film Coup de Chaud.

Adrien Louis

Agrégé et docteur en philosophie, UPEC.

Michela Marzano

Professeur des Universités en Philosophie. Université Paris Descartes SHS – Sorbonne Paris Cité.

Hervé Mauroy

Maitre de conférences en Sciences Économiques à l’Université de Valenciennes du Hainaut-Cambrésis et Membre de Thémos (IDP).

Marwan Mohammed

Sociologue, chargé de recherches au CNRS, et membre du Centre Maurice Halbwachs/équipe ERIS.

Gilles Rochier

Auteur de bande dessinée. Il a reçu le Prix révélation du festival d’Angoulême 2012, pour TMLP. Ta mère la pute.

Nadia Taïbi

Professeure de philosophie à la Roche-sur-Yon.
Docteure en philosophie Université Jean Moulin Lyon 3.

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Sens-Dessous n° 18 : L’Équipe

Sens-Dessous n° 18 : L’Équipe


Directeur de la publication
: Vincent Grégoire
Rédactrice en chef : Nadia Taïbi
Comité de rédaction : Catherine Bernard, Vincent Grégoire, Claudine Paque, Nadia Taïbi.
Corrections : Isabelle Beaulier, Catherine Bernard, Claudine Paque, Maria Salmon, Marcel Vende.
Maquette : Coline Ténier et Serge Sadois
Mise en pages : Serge Sadois
En couverture : © Dominique Bulteau, Nolan et Dominique Bulteau, 2016, huile sur papier, 1,50 m sur 1,30 m. © Photo Philippe Cossais, phcpoint@wanadoo.fr.
Images des pages 85 à 89 : Dominique Bulteau, dominiquebulteau@orange.fr, photos Philippe Cossais, phcpoint@wabadoo.fr.

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Sens-Dessous
– Revue semestrielle
27, rue émile Baumann, 85000 La Roche-sur-Yon – Tél. 06 23 35 27 34
Dépôt légal : septembre 2016 – ISSN : 1951-0519
Imprimerie Offset Cinq édition, La Mothe-Achard – Revue imprimée à 200 exemplaires.

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La pudeur

Un petit texte très classique…

1. Genèse, Chapitre 3
Tous les deux, l’homme et sa femme, étaient nus, et ils n’en éprouvaient aucune honte l’un devant l’autre. Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin.
Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” »
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes.
Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? »
Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? » L’homme répondit : « La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. » Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ? » La femme répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé. » Alors le Seigneur Dieu dit au serpent : « Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux et toutes les bêtes des champs. Tu ramperas sur le ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. »
Le Seigneur Dieu dit ensuite à la femme : « Je multiplierai la peine de tes grossesses ; c’est dans la peine que tu enfanteras des fils. Ton désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi. »
Il dit enfin à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé le fruit de l’arbre que je t’avais interdit de manger : maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie.
De lui-même, il te donnera épines et chardons, mais tu auras ta nourriture en cultivant les champs. C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu proviens ; car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. » L’homme appela sa femme Ève (c’est-à-dire : la vivante), parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. Le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en revêtit.
Puis le Seigneur Dieu déclara : « Voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous par la connaissance du bien et du mal ! Maintenant, ne permettons pas qu’il avance la main, qu’il cueille aussi le fruit de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive éternellement ! » Alors le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden, pour qu’il travaille la terre d’où il avait été tiré. Il expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie.

… et quelques citations.

1. 
Étienne Rey
Les femmes attachent de l’importance à la pudeur physique pour avoir moins à se soucier de la pudeur morale.

2. Friedrich Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal
Les poètes n’ont pas la pudeur de ce qu’ils vivent : ils l’exploitent.

3. Maurice Debroka
La pudeur est la conception la plus raffinée du vice. Elle parachève l’hypocrisie des sentiments.

4. Stendhal, De l’amour
L’inconvénient de la pudeur, c’est qu’elle jette sans cesse dans le mensonge.

5. Montesquieu
La pudeur sied bien à tout le monde ; mais il faut savoir la vaincre et jamais ne la perdre.

6. Jean-Jacques Rousseau
Les femmes sauvages n’ont pas de pudeur, car elles vont nues. Je réponds que les nôtres en ont encore moins : car elles s’habillent.

7. Chamfort, Maximes et pensées
L’indécence, le défaut de pudeur sont absurdes dans tout système : dans la philosophie qui jouit, comme dans celle qui s’abstient.

8. Cicéron
Dans nos mœurs, un beau-père ne se baigne point avec son gendre, ni un père avec son fils, dès qu’il est sorti de l’enfance. On ne saurait assez se conformer à ces règles de pudeur, surtout lorsque c’est la nature qui les a faites.

9. Honoré de Balzac, La comédie humaine
La pudeur est une vertu relative : il y a celle de vingt ans, celle de trente ans, celle de quarante-cinq ans.

10. Georges Courteline
La vraie pudeur est de cacher ce qui n’est pas beau à voir.

11. Charles Dollfus
La pudeur et la timidité n’ont qu’une ressemblance extérieure, on est quelques fois timide par manque de pudeur.

12. Georges Bataille, L’érotisme
C’est de la nudité que, du fait d’un glissement, parle la genèse, liant au passage de l’animal à l’homme la naissance de la pudeur, qui n’est, en d’autres mots, que le sentiment de l’obscénité.

13. Amin Maalouf, Origines
La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur ou d’indifférence ; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles.

14. Anne Barratin, De vous à moi
La pudeur s’atténue avec l’âge, comme la timidité, mais où elle a régné, elle laisse la délicatesse.

15. M. Agrieev, Roman et cocaïne
L’attrait principal et ardent de la dépravation humaine est la violation de la pudeur, et non son absence.

16. Jean de La Fontaine, Fables, Les deux amis
Qu’un ami véritable est une douce chose
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.

17. Novalis, Semences
La pudeur est certainement le sentiment d’une profanation. L’amitié, l’amour, la piété devraient être traités avec mystère. On devrait ne parler de cela que dans les moments intimes et rares, et se comprendre dans le silence. Bien des choses sont trop délicates pour qu’on les pense, bien plus encore pour qu’on en parle.

18. Woody Allen
Nous vivons une société beaucoup trop permissive. Jamais encore la pornographie ne s’était étalée avec une telle impudeur. Et en plus, les films sont flous !

19. Emmanuel Coke
Devenir cynique, voilà le comble de la pudeur.